Après plusieurs dizaines d'années, je pense que j'ai enfin un modèle plus ou moins cohérent de ce sentiment si particulier, si unique à chacun, que l'on appelle l'amour. Je sais enfin comment j'aime. Je suis quelqu'un de réfléchi et plutôt lent. Quelle meilleure forme pour mon amour que celui des plantes. La force tranquille, le progrès inéluctable mais lent. Et absolument tout correspond. Par exemple, le début d'un amour, il n'est rien de plus qu'une graine. Le terrain est rendu propice en faisant connaissance et soudain on se rend compte que l'amour est là, comme une graine posée sur le sol meuble. Ce soubresaut pourtant est bien un amour, comme la graine contient bien un arbre. On pourrait en fait même le décrire comme le potentiel d'un arbre. Tout comme cet amour naissant même s'il existe lui-même est surtout agréable à imaginer dans une continuité. Et comme pour l'arbre ce qui arrive à cette graine est crucial. En y faisant peu attention, elle grandira vite, surtout au début, puisant dans ses ressources de départ, ce qui peut donner des débuts d'histoires exaltantes, puis redescendra à une croissance stable et lente. On a tous vu pousser un arbre. Si cette graine n'a pas la place pour grandir, alors il vaut mieux restreindre sa croissance, la tordre, la limiter, jusqu'au final obtenir un inoffensif bonsaï. Je parle bien sûr des ces amours qui ne peuvent s'exprimer, des amours interdits comme des amours dont on ne veut pas, ceux envers des amies ou pire, des ennemies. Enfin, la graine peut être enfuie, sous une dizaine de centimètres de terre et y dormir pendant le temps qu'il faudra, sans jamais mourir.